La Détention Provisoire – Où Quand L’Exception Devient Le Principe

Petite fiche au ministère

La détention provisoire en France :

La détention provisoire est un sujet particulièrement « épineux » qui fait l’objet de nombreuses critiques.

Il est notamment pointé du doigt l’atteinte aux droits individuels garantis par la constitution (telle que la liberté d’aller et venir), ainsi que, bien évidemment, l’atteinte à la présomption d’innocence, principe à valeur constitutionnelle, puisque des personnes qui n’ont pas encore fait l’objet de jugement et donc non coupables se retrouvent en prison.

Par ailleurs, beaucoup dénoncent le recours trop fréquent à une telle mesure ainsi que sa durée jugée trop longue.

Afin de remédier à ces critiques et surtout en vue d’éviter que se reproduise le « carnage » de l’affaire d’Outreau, à l’occasion de laquelle des personnes présumées innocentes ont été mise en prison pendant plus de 3 ans pour finalement être relaxées ; de nombreuses réformes ont été envisagées mais semblent toujours insuffisantes. Tout l’enjeu de ces réformes est de trouver un équilibre entre d’un côté, la protection des intérêts individuels, et de l’autre la protection des intérêts de la société (mais qu’elle société…).

 

Quelle est la Définition de la détention provisoire ?

 

La détention provisoire peut se définir comme étant une mesure judiciaire prise à titre exceptionnel par le JLD (juge des libertés et de la détention), qui consiste à incarcérer une personne mise en examen dans une maison d’arrêt pendant tout ou partie de l’instruction et éventuellement jusqu’au jugement sur le fond de l’affaire quand les besoins de l’instruction le nécessitent.

Attention : il s’agit d’une mesure judiciaire et non d’une sanction.

 

La détention provisoire est prévue aux articles 137 à 148-8 du CPP. Étant précisé que cette notion est également envisagée aux 5 et 6 de la convention européenne des droits de l’Homme.

 

Cette définition nous permet de dégager les conditions (de forme) de la détention provisoire :

 

Quel est le principe et pourquoi ?

 

En droit pénal, le principe qui doit s’appliquer est celui de la liberté.

Ce principe est intrinsèquement lié à celui de la présomption d’innocence et au fait qu’on ne peut pas détenir une personne sans qu’elle ne soit jugé définitivement coupable.

Nous avons vu précédemment que la détention provisoire ne concerne que les personnes mises en examen. Or, les personnes mises en examen sont des personnes suspectes mais dont la culpabilité n’a pas été établie. Autrement dit, aucun jugement n’a été rendu. Par conséquent, elles sont présumées innocentes. C’est pour cette raison que le principe qui s’applique est celui de la liberté tel que le précise l’article 137, alinéa 1er du CPP : « Toute personne mise en examen est présumée innocente et demeure libre ».

D’ailleurs, l’article 5 de la convention européenne des droits de l’Homme intitulé « droit à la liberté et à la sûreté » pose le principe de liberté.

 

Pour apprécier le principe de la liberté, il convient d’étudier la notion de la présomption d’innocence. La présomption d’innocence est un principe à valeur constitutionnelle selon lequel tout suspect est présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit déclaré coupable. Cette notion est consacrée par de nombreux textes notamment :

 

Il n’en reste pas moins que la présomption d’innocence  fait l’objet de dérogations (ex : la détention provisoire). D’ailleurs, il convient de parler davantage d’un statut intermédiaire entre le coupable et l’innocent, voir d’un droit subjectif extra-patrimonial puisque tout le monde a droit à ce que sa présomption d’innocence soit respectée et ceux, indépendamment de la décision rendu par le juge à posteriori.

Donc un principe a valeur constitutionnelle et des exceptions à valeur inférieure puisque seulement légale.

 

 

 Quelles sont les exceptions ?

 

l’article 137 alinéa 3 du CPP, ajoute qu’en raison des nécessités de l’instruction ou au titre des mesures de sureté, la personne mise en examen peut être :

 

La détention provisoire  porte notamment atteinte au principe de la présomption d’innocence. C’est pour cette raison que le législateur est venu encadrer une telle mesure de sorte que le JLD ne peut placer une personne en détention provisoire qu’à la condition qu’il motive sa décision et qu’il prévoit un délai raisonnable de la mesure (on parle des conditions de fond de la détention provisoire).

Or souvent la motivation est lapidaire, de pure forme, et donc n’existe pas : on parle d’absence d’effectivité de la motivation et la Cour Européenne relève ce disfonctionnement.

Si le Juge ne motive pas réellement la détention provisoire, cela signifie qu’elle n’est pas réellement justifié et qu’elle est « de pure confort »

 

1°/ Conditions relatives à la motivation : (Article 137-3 du CPP prévoit que le JLD statue par ordonnance motivée). D’ailleurs, il convient de parler d’une double motivation posée par la loi du 15 juin 2000 :

 Ne pas motiver et établir ces éléments, cela revient à violer la Loi à valeur constitutionnelle et donc à faire ce que l’on reproche au prévenu « d’avoir violé la Loi »…

 

2°/ Conditions tenant au délai raisonnable : Article 144-1 du CPP, le JLD ne peut placer une personne en détention provisoire que pour une durée dite « raisonnable ». Or, qu’est-ce qu’un délai raisonnable ? La jurisprudence n’a pas donné de solution car cette notion est évolutive. Le législateur est toutefois venue préciser que le JLD, lorsqu’il place une personne en détention provisoire, pour fixer la durée de cette dernière doit prendre en compte :

Etant précisé que ces deux conditions sont cumulatives.

La France à été condamnée à de nombreuses reprises par la CEDH à ce sujet, notamment dans l’affaire CEDH 1991 Letellier contre France.

 

 

 En pratique, que se passe-t-il ?

Qu’elle est l’appréciation de la cour de Cassation (chambre criminelle) et de la cour Européenne sur la question de la détention provisoire ?

 

Au sujet de la détention provisoire, force est de constater qu’il existe un véritable fossé entre la théorie et la pratique. Les textes législatifs prévoient que le principe est celui de la liberté et, la détention provisoire l’exception.  Pourtant ce n’est pas « effectif » (= notion dégagée par la CEDH, qui consiste à apprécier si les règles de droits sont réalisées en pratique) pour plusieurs raisons :

 

1ier raison : Usage régulier de la détention provisoire :

Le JLD fait un usage que nous pouvons qualifier de « routinier » de la détention provisoire telle qu’en témoignent les chiffres :

Ces pourcentages prouvent que la détention provisoire est loin d’être une exception, mais plutôt une évidence.. 28 % en mathématique ne fait pas partie du domaine de l’exception…ou alors il faut changer la signification du mot exception.

En pratique et après 25 ans d’observation du « système » en ce qui me concerne, il apparaît que la personne qui prend la décision, désormais le JLD ne prend souvent aucun risque et préfère violer la loi (qu’elle est la sanction ?) plutôt que d’aller à l’encontre de la demande du parquet et du juge d’instruction (qui continue malgré la réforme souvent à mener la danse « d’un pas de sénateur » , et applique la mise en détention provisoire des suspects plutôt que le contrôle judiciaire pourtant prévu par les textes..

 

2nd raison : Défaut de motivation du JLD concernant, l’efficacité du contrôle judiciaire

Dans un certain nombre de cas, le JLD prononce la mise en détention provisoire sans même motiver sa décision concernant l’efficacité du contrôle judiciaire et, se contente simplement de dire que le recours au contrôle judiciaire est insuffisant sans expliquer en quoi cette mesure est inefficace. Aussi étrange que cela puisse paraître, la chambre criminelle de la Cour de cassation admet très largement cette motivation du JLD (qui en réalité n’en n’est pas une). Il est donc légitime de se demander, pourquoi la Cour de cassation adopte une telle attitude ?

 

3ième raison : Motivation abstraite des critères nécessaires à la mise en détention provisoire :

Le JLD motive de manière large et imprécise les conditions requises pour le placement du suspect en détention provisoire. D’ailleurs, la France sera condamnée à de nombreuses reprises par la CEDH pour défaut de motivation.

 

4ième raison : La prolongation de la durée de la détention provisoire,

La réforme est certes venue limiter la durée de la détention provisoire toutefois, le JLD a la possibilité de prolongé la détention (Ex : prolongation par période de 6 mois en matière criminelle), de sorte que la personne mise en examen peut rester des années en détention provisoire. Ces durées excessives contribuent à vider le caractère exceptionnel de la détention provisoire.

 

La France sera condamnée à plusieurs reprises pour durée excessive de détention provisoire : CEDH 2009, Naudo, et Meloum contre France // CEDH 2009 AFFAIRE PARADYSZ c. FRANCE

 

5ième raison : une pluralité de critère requis pour le placement en détention provisoire.

Le fait pour le législateur de dresser une liste plutôt longue (7) de conditions non-cumulatives (Cf. Article 144 : « l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants ») pour recourir à la détention provisoire participe également à vider le caractère exceptionnel de la détention provisoire.

 

Comment motiver une demande de mise en liberté ?

 

Principe : Il existe trois moyens permettant de mettre fin à la détention provisoire.

 

Une fois que la personne mise en examen a déterminé le moyen, il faut qu’elle motive sa demande de mise en liberté. La personne peut motiver sa demande de remise en liberté en prouvant que le placement en détention provisoire n’a plus lieu d’être puisque :

Surtout démontrer que d’autres solutions que la détention provisoire sont possibles.. mais ce sont les mêmes juges dans un même schéma qui vont apprécier.

 

En cas de recours devant la chambre de l’instruction, bien respecter les délais et le formalisme  :

Toujours penser à rappeler l’article 13 la convention européenne qui souligne « que le recours doit être effectif »  donc finalement que la chambre de l’instruction « ne doit pas faire de la figuration » mais réellement vérifier la motivation du refus de remise en liberté et la réalité par rapport aux éléments du dossier.

L’article 144 du CPP est très clair sur les deux éléments cumulatifs à vérifier et la chambre criminelle de la Cour De Cass soulève m^me d’office les cas de violation de l’article 144 du CPP.

Avec le taux d’occupation des prisons… cela parait plus qu’indispensable.

L’article 5 « principe de liberté » et l’article 6 de la convention « principe de présomption d’innocence » sont aussi important à rappeler.

N’oublions pas que l’article 66 de la constitution de 1958 pose le principe de l’interdiction de la détention arbitraire.. et que si une détention n’est pas effectivement motivée elle est arbitraire… et le juge « autorité judiciaire » est le gardien de ce principe constitutionnel en application de cet article.

Bien sûr, il convient de motiver le recours également sur les éléments du dossier car il s’agit là d’un vrai travail à réaliser en faits Et en droit.

 

 

Qu’elle est la durée de la détention provisoire :

 

La détention provisoire, comme son nom l’indique est « provisoire » dans la mesure où le code de procédure pénal fixe des durées. Autrement dit, la détention provisoire ne doit pas excéder une durée raisonnable (appréciation en fonction de la gravité des faits, de la complexité de l’affaire…).

 

Par ailleurs, la détention ne peut être prononcée que si la personne mise en examen encourt une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à 3 ans, ou si elle s’est soustraite à une obligation du contrôle judiciaire (article 144 du CPP).

 

Le calcul de la durée est assez complexe :

 

1°/ S’il s’agit de délit classique :

 

2°/ S’il s’agit d’un délit relevant de la délinquance organisée (ex : trafic de stupéfiant, du proxénétisme, terrorisme, association de malfaiteurs, lorsque les faits ont été commis à l’étranger…)

 

3°/ En matière criminelle (Article 145-1 et 145-3 du CPP) :

Lorsque ces délais « plafonds » ont été atteins, le délai peut encore être prolongé de 4mois par une décision de la Chambre de l’instruction au motif que les investigations du juge doivent encore être poursuivies et que la mise en liberté causerait un risque d’une particulière gravité à la sécurité des personnes et des biens. Cette prorogation de 4 mois est renouvelable une seule fois.

 

Jurisprudence  : La Chambre criminelle de la Cour de Cassation dans un arrêt du 16 avril 2018 juge que le délai d’un an prévu par l’article 181 CPP ne peut être interrompu que si l’audience sur le fond a débuté, ce qui suppose la formation préalable du jury de jugement (crim 27 mars 2018  n°18-80-123)

 

Information juridique générale à jour au 26 mai 2018

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