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Droit Pénal – Jurisprudences Récentes de la Chambre Criminelle

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La jurisprudence

La jurisprudence en droit pénal est désormais européenne et le droit interne est forcément impacté désormais depuis plusieurs années.

une veille juridique au niveau européen est donc nécessaire.

La Cour de cassation à l’origine assez précautionneuse vis a vis de la jurisprudence européenne, la prend désormais beaucoup plus en compte et surtout plus rapidement.

 

Les arrêts rapportés ont pour point commun d’illustrer l’approche dynamique et pragmatique de la Cour de cassation au sujet de l’interprétation de l’article 174 du code de procédure pénale relatif aux nullités de l’information.

par Dorothée Goetzle 22 mai 2018

Crim. 9 mai 2018, FS-P+B+I, n° 18-80.066

Crim. 9 mai 2018, F-P+B, n° 17-80.656

Crim. 7 mars 2018, F-D, n° 17-80.656

 

Un équilibre doit exister :

Parce qu’elle encadre le déroulement des opérations dirigées contre les personnes suspectées, la procédure pénale poursuit un double but. Elle doit, en effet, permettre la découverte de la vérité tout en protégeant au mieux les libertés individuelles. En conséquence, la culpabilité doit toujours être établie dans le respect des dispositions légales. Cette exigence explique l’importance du contentieux relatif aux nullités de procédure. En effet, les nullités constituent une technique de contrôle de la régularité des procédures mais aussi une sanction de leur non-respect.

 

Le premier arrêt fait suite à des requêtes en incident d’exécution qui ont été rejetées par la chambre de l’instruction. En l’espèce, dans le cadre d’une information ouverte pour vols avec arme et délits connexes, la chambre de l’instruction a annulé deux procès-verbaux, ordonné leur retrait du dossier de la procédure et décidé la cancellation, dans neuf autres procès-verbaux, des passages se référant aux pièces annulées. La technique de la cancellation s’explique par des considérations pratiques évidentes. En effet, il se peut, comme c’était le cas en l’espèce, qu’un acte ne soit que partiellement vicié. Dans ce cas, lorsque seulement certains des passages d’un procès-verbal font état d’actes nuls, son annulation peut n’être que partielle. La difficulté était qu’in casu, à l’issue de l’instruction, trois accusés étaient renvoyés devant la cour d’assises des mineurs. Comme le permet l’article 279 du code de procédure pénale, des copies numérisées de la procédure ont été délivrées aux parties. Or, les copies en question contenaient les deux procès-verbaux annulés et l’intégralité de ceux qui auraient dû être cancellés. Les avocats des accusés en concluaient que la cancellation avait été réalisée de manière imparfaite. Pour cette raison, ils saisissaient la chambre de l’instruction de requêtes en incident d’exécution. Cette juridiction rejetait toutes les requêtes présentées.

 

Au visa des articles 710, 174 alinéa 3, et 279 du code de procédure pénale, la chambre criminelle casse l’arrêt de la chambre de l’instruction.

Elle souligne, dans un premier temps, que c’est à bon droit que le requérant a élevé sa demande, relative à des incidents contentieux liés à la mauvaise exécution ou à l’exécution incomplète d’un arrêt de la chambre de l’instruction statuant en matière de nullité de procédure, devant la chambre de l’instruction. Bienvenue, cette précision n’est pas nouvelle (Crim. 5 déc. 2007, Bull. crim. n° 304). En l’espèce, elle fait écho à un aspect de la motivation des juges du fond qui avaient considéré que les parties ne soumettaient pas à la chambre une difficulté d’exécution de l’arrêt qui imposerait de le rectifier ou d’en interpréter son sens, mais mettaient en exergue les modalités défectueuses de l’exécution de l’arrêt. Or, aux yeux de la chambre de l’instruction, l’exécution de l’arrêt était à la diligence du procureur général comme le souligne l’article 32 du code de procédure pénale qui dispose que le ministère public assure l’exécution des décisions de justice.

 

Dans un second chapeau de tête, la chambre criminelle ajoute que les actes ou pièces annulés par décision de la chambre de l’instruction sont retirés du dossier de l’information et classés au greffe de la cour d’appel. En effet, en application de l’article 174 alinéa 3, les actes ou pièces de la procédure partiellement annulés sont cancellés après qu’a été établie une copie certifiée conforme à l’original, qui est classée au greffe de la cour d’appel. Cette précision opérée par les hauts magistrats est l’occasion de se rappeler qu’avant 1993, pour faire face à l’impossibilité matérielle de retirer un acte partiellement annulé du dossier, la pratique consistait à conserver l’acte au dossier en biffant de manière à les rendre illisibles les seuls passages entachés de nullité. Après avoir admis avec réserve ce procédé (Crim. 18 mars 1976, n° 75-92.918, Bull. crim. n° 101), la Cour de cassation l’avait déclaré illégal (Crim. 24 avr. 1990, n° 89-86.640, Bull. crim. n° 151 ; RSC 1990. 805, obs. A. Braunschweig ). C’est dans ce contexte que le législateur est intervenu en précisant, dans l’article 174 du code de procédure pénale, que les actes sont cancellés après qu’a été établie une copie certifiée conforme à l’original, qui est classée au greffe de la cour d’appel. En l’espèce, la chambre criminelle fait donc une exacte application de cette disposition (Crim. 19 mars 2002, n° 01-88.240, Bull. crim. n° 63 ; RSC 2003. 122, obs. A. Giudicelli ; 2 févr. 2005, n° 04-86.805, D. 2005. 797 ; AJ pénal 2005. 162, obs. G. Roussel ; RSC 2006. 416, obs. J. Buisson ). Cet attachement à l’article 174, alinéa 3, n’est pas surprenant. La chambre criminelle a, dans le même sens, déjà souligné que l’irrégularité des poursuites sur certains chefs d’accusation ne doit pas entraîner l’annulation totale de toutes les pièces portant une référence à ces poursuites dès lors que les pièces litigieuses font également référence à d’autres infractions dont les poursuites sont régulières. Seuls doivent être cancellés les passages en rapport avec l’irrégularité (Crim. 19 mars 2002, Bull. crim. n° 63).

 

Logiquement, les Hauts magistrats en concluent qu’il incombait à la chambre de l’instruction « de s’assurer que les prescriptions des articles 174, alinéa 3 et 279 du code de procédure pénale avaient été observées, le cas échéant de prendre les dispositions nécessaires pour qu’elles le fussent ».

 

Le second arrêt, relatif à une information des chefs d’enlèvement et séquestration, extorsion en bande organisée et association de malfaiteurs, concerne une demande d’annulation de pièces de la procédure. En l’espèce, un individu déposait plainte en janvier 2015 et déclarait avoir été victime d’un enlèvement suivi d’une séquestration pendant plusieurs jours et d’une extorsion de fonds. Rapidement, les soupçons des enquêteurs se portaient sur un individu. Celui-ci était appréhendé dans le cadre de l’exécution d’une commission rogatoire puis mis en examen des chefs susvisés et placé sous contrôle judiciaire. Il saisissait la chambre de l’instruction d’une requête en annulation de plusieurs actes, notamment d’un procès-verbal d’analyse dans lequel les enquêteurs exposaient les indices aboutissant à le soupçonner. En outre, il considérait que son interpellation avait eu lieu dans des conditions irrégulières, en exploitant les renseignements provenant de procès-verbaux de deux procédures annulées et de pièces d’une information distincte dont le magistrat instructeur n’avait pas autorisé le versement. La chambre de l’instruction prononçait la nullité de plusieurs pièces mais pas de ce procès-verbal d’analyse. La chambre criminelle avait une première fois cassé cet arrêt et avait renvoyé l’affaire devant la chambre de l’instruction autrement composée qui avait confirmé la position initiale. Dans ce contexte, l’intéressé formait un pourvoi en cassation.

 

Sur la demande d’annulation des pièces provenant de la seconde instruction, la chambre criminelle relève que les enquêteurs avaient sollicité du juge d’instruction mandant la communication de pièces d’une information suivie par un autre magistrat du chef d’assassinat en bande organisée. En effet, cette procédure comportait des renseignements utiles à leur recherches, précisément un répertoire téléphonique. En conséquence, un soit transmis était échangé entre les deux magistrats et les pièces demandées étaient versées au dossier. La chambre criminelle approuve la chambre de l’instruction d’avoir rejeté la demande d’annulation en soulignant « qu’aucune disposition légale n’interdit d’utiliser dans une procédure les éléments recueillis lors de l’exécution d’une commission rogatoire délivrée dans une autre information ».

 

Se posait ensuite la question plus épineuse de la possibilité d’utiliser des renseignements sur une personne impliquée dans une procédure annulée. En effet, les policiers avaient sollicité du juge d’instruction mandant la communication de pièces provenant d’une autre information. La copie numérisée de la procédure avait été transmise. Or, les pièces communiquées faisaient partie d’une information qui avait été intégralement annulée par un arrêt devenu définitif en l’absence de pourvoi. Pour cette raison, la chambre de l’instruction avait à juste titre ordonné la cancellation partielle du procès-verbal d’analyse.

 

Cette cancellation partielle du procès-verbal litigieux était-elle suffisante ? Pour la chambre criminelle, la réponse est négative. En effet, elle reproche à la chambre de l’instruction de ne pas avoir également ordonné la cancellation des deux premières lignes de la page 5 de la cote D 931 qui se réfèrent expressément à l’interpellation du requérant intervenue dans le cadre de la procédure annulée. Pour fonder cette solution, la chambre criminelle s’appuie, comme dans le premier arrêt, sur le précieux article 174 du code de procédure pénale. Elle rappelle le principe selon lequel « l’interdiction d’utiliser ou d’exploiter une procédure annulée s’étend à toute référence à cette procédure donnant notamment des renseignements sur une personne impliquée dans la dite procédure ».

 

La lecture combinée de ces deux arrêts souligne le rôle important et dynamique joué par la Cour de cassation, grâce à l’article 174 du code de procédure pénale, en matière de nullités de procédure. Cette position rigoureuse et protectrice a déjà été affirmée à de nombreuses reprises. La chambre criminelle a ainsi déjà souligné que la personne mise en examen est recevable à proposer des moyens de nullité visant des actes de l’information se référant à des pièces annulées, fût-ce dans une procédure à l’origine distincte, dès lors qu’il en résulte une atteinte à ses intérêts (Crim. 21 oct. 2015, n° 15-83.395 P, Dalloz actualité, 4 nov. 2015, obs. S. Fucini ; D. 2016. 47 , note G. Beaussonie et P. Cazalbou ; Dr. pénal 2016. Chron. 8, obs. Lesclous). Dans la même veine, elle considère que les actes annulés doivent être retirés du dossier et qu’il est interdit d’y puiser des renseignements contre les parties au débat. Cette interdiction doit s’étendre à tout procédé ou artifice qui serait de nature à reconstituer la substance des actes annulés (Crim. 30 juin 1981, Bull. crim. n° 224 ; 23 janv. 1990, Bull. crim. n° 42 ; 16 janv. 2002, n° 01-81.054).

 

                                    

                    Le délai d’un an prévu par l’article 181 du code de procédure pénale ne peut être interrompu que si l’audience sur le fond a débuté, ce qui suppose la formation préalable du jury de jugement.

    Crim. 27 mars 2018, F-P+B, n° 18-80.123

 

L’article 181 du code de procédure pénale prévoit que si le juge d’instruction estime que les faits retenus à la charge d’une personne mise en examen constituent un crime, il ordonne sa mise en accusation devant la cour d’assises. Si l’accusé est placé en détention provisoire au moment de l’ordonnance de mise en accusation, le mandat de dépôt décerné contre lui conserve sa force exécutoire et l’intéressé reste détenu jusqu’à son jugement. Sa comparution devant la cour d’assises doit alors intervenir dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive. À défaut, l’intéressé doit être remis en liberté. Quid en cas de grève du barreau nécessitant le renvoi de l’affaire postérieurement au délai d’un an en raison de l’impossibilité de constituer le jury de jugement ?

 

En l’espèce, par ordonnance du 8 novembre 2016, un individu a été mis en accusation du chef de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. L’affaire a été appelée le 3 octobre suivant devant la cour d’assises. En raison d’un mouvement collectif du barreau qui interdisait l’accès au palais de justice, l’affaire fut renvoyée. La grève empêchait en effet la constitution du jury de jugement. Après le rejet de sa demande de mise en liberté par la chambre de l’instruction, l’accusé forma un pourvoi en cassation. Il ne partageait pas la lecture opérée par les juges du fond de l’article 181 du code de procédure pénale. Selon ce texte, « l’accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d’assises est immédiatement remis en liberté s’il n’a pas comparu devant celle-ci à l’expiration d’un délai d’un an à compter soit de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive s’il était alors détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire ». La chambre de l’instruction qualifiait le délai d’un an visé par ce texte, qui courait en l’espèce à compter du 19 novembre 2016, de délai de comparution et non de jugement. En conséquence, elle considérait qu’il suffisait, pour respecter ce délai, que l’accusé ait comparu devant la cour seule, avant même tirage du sort du jury. En d’autres termes, le renvoi de l’affaire en raison de la grève des avocats qui avait mis la cour dans l’impossibilité de constituer le jury de jugement était, pour les juges du fond, indifférent. De son côté, l’accusé accordait un tout autre sens au délai prévu par l’article 181 du code de procédure pénale. Il fondait son analyse sur le principe selon lequel est irrégulier le maintien en détention d’une personne mise en accusation lorsque, à l’expiration du délai d’un an à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, celle-ci n’a pas comparu devant la cour d’assises à une audience sur le fond. À ses yeux, et contrairement à la position de la chambre de l’instruction, il ne peut y avoir audience sur le fond sans constitution du jury. Or, en l’espèce, en raison du mouvement de grève des avocats, il avait comparu devant la cour d’assises seule qui avait prononcé le renvoi. En conséquence, cette situation n’avait pas pu, selon son interprétation, interrompre le délai prévu par l’article 181 du code de procédure pénale.

 

Il revenait donc à la chambre criminelle d’arbitrer entre ces deux lectures de l’article 181 du code de procédure pénale. Par cet arrêt de cassation sans renvoi, les hauts magistrats se rallient à l’analyse du requérant. Ils considèrent en effet que le délai en question ne peut être interrompu que si l’audience sur le fond a débuté, ce qui suppose la formation préalable du jury de jugement. En cas d’impossibilité de former le jury, comme c’était le cas en l’espèce en raison du mouvement collectif, la chambre de l’instruction devait mentionner les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire et ordonner la prolongation de la détention provisoire pour une nouvelle durée de six mois. En conséquence, les hauts magistrats adressaient deux reproches aux juges du fond. Premièrement, le 3 octobre 2017, l’accusé n’avait pas comparu devant la cour d’assises. Deuxièmement, il n’avait pas été statué, entre le 3 octobre 2017 et le 19 novembre 2017 – jour de l’expiration du délai d’un an – sur la prolongation de sa détention provisoire. Cette interprétation de l’article 181 du code de procédure pénale n’est pas surprenante. En effet, la chambre criminelle a déjà souligné, comme elle y procède dans l’arrêt rapporté, que les dispositions de l’article 181, alinéa 9, autorisent la chambre de l’instruction à prolonger, à titre exceptionnel, la détention de l’accusé détenu au delà du délai d’un an à compter de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, par une décision rendue conformément à l’article 144 et mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire. (Crim. 2 sept. 2009, n° 09-83.950, Bull. crim. n° 148 ; Dalloz actualité, 29 sept. 2009, obs. M. Léna ; D. 2009. 2348, obs. M. Léna ; ibid. 2010. 2254, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2009. 501, obs. J. Lasserre-Capdeville ; Dr. pénal 2009, n° 145, obs. A. Maron et M. Haas ; ibid. 2010. Chron. 1, obs. Guérin). La cassation est en l’espèce prononcée sans renvoi. En effet, en raison de l’absence de comparution du requérant devant la cour d’assises dans le délai d’un an et de l’absence de prolongation de sa détention provisoire dans ce délai, celui-ci était détenu sans titre depuis le 19 novembre 2017. La chambre criminelle ordonne donc sa mise en liberté. Ce faisant, l’arrêt rapporté rappelle que le délai d’un an prescrit par l’article 181 à l’issue duquel la personne détenue provisoirement doit comparaître devant la cour d’assises ou faire l’objet d’une décision de prolongation de sa détention commence à courir à compter de la date à laquelle l’ordonnance de mise en accusation est devenue définitive. Le prononcé de la mise en liberté est logique. Il se situe dans la même veine qu’une jurisprudence plus ancienne qui avait déjà admis que justifie sa décision la chambre de l’instruction qui ordonne la libération d’office de l’accusé dès lors qu’elle relève qu’elle n’a pas été saisie aux fins de prolongation de la détention provisoire avant l’expiration du délai d’un an (Crim. 22 nov. 2005, n° 05-86.295, Bull. crim. n° 303 ; D. 2006. 251, obs. C. Girault ; AJ pénal 2006. 86, obs. C. Saas ; RSC 2006. 348, obs. D. N. Commaret

 

                       L’annulation d’un interrogatoire de première comparution pour défaut d’enregistrement audiovisuel, à l’issue duquel la personne est mise en examen pour des faits de nature criminelle et délictuelle, porte sur l’intégralité de l’acte et non pas uniquement sur la mise en examen criminelle.

 
par Victoria Morgantele 7 mai 2018
 
 

À la suite d’une enquête portant sur un trafic international de produits stupéfiants, deux individus étaient poursuivis des chefs d’infraction à la législation sur les armes, à la législation sur les stupéfiants, importation de stupéfiants en bande organisée et association de malfaiteurs. Ils étaient mis en examen à la suite d’un interrogatoire de première comparution au cours duquel un des mis en cause avait accepté de répondre aux questions du juge d’instruction. L’interrogatoire, n’avait fait l’objet d’aucun enregistrement audiovisuel en dépit de la qualification criminelle d’une partie des faits.

Le 15 juin 2017 son avocat déposait une requête en nullité de ce procès-verbal et des actes subséquents pour défaut d’enregistrement audiovisuel.

La chambre de l’instruction d’Aix-en-Provence en date du 6 novembre 2017 qui, dans l’information suivie contre le mis en examen des chefs susvisés, limitait l’annulation à la seule mise en examen criminelle, ordonnait la cancellation dans les pièces subséquentes des seules références à la mise en examen de nature criminelle et rejetait le surplus de demandes en lien avec la mise en examen délictuelle.

À cela, la chambre criminelle répondait que l’annulation d’un interrogatoire de première comparution à l’issue duquel la personne est mise en examen pour des faits de nature criminelle et délictuelle, porte nécessairement sur l’intégralité de l’acte. En effet, depuis la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 les interrogatoires en matière criminelle doivent faire l’objet d’un enregistrement, selon les dispositions de l’article 116-1 du code de procédure pénale, tout comme les auditions des individus placés en garde à vue en matière criminelle.

La chambre criminelle est venue à diverses reprises, interpréter cet article 116-1 dans le dessein de préserver les droits de la défense et la bonne administration de la justice. Elle considère de « façon constante que le défaut d’enregistrement [porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne ] qu’elle ait fait de simples déclarations ou qu’elle ait accepté d’être interrogée» (D. 2017. 1236, obs. L. Belfanti ) ou encore lorsqu’elle préfère garder le silence.

L’arrêt d’espèce vient une nouvelle fois préciser les contours et l’application de cette règle. Arrêt qui nous renvoie vers un cas récent et similaire de la chambre criminelle du 21 mars 2017 (n° 16-84.877, D. 2017. 1236 , note L. Belfanti ), dans lequel la chambre de l’instruction avait indiqué que seules les mises en examen de nature criminelle encouraient la nullité, et rajoutait que les mises en examen délictuelles continuaient à produire leurs effets. La chambre de l’instruction avait été sanctionnée sur cette nullité partielle, tout comme le présent arrêt du 11 avril 2018. En somme, une solution loin d’être surprenante.

En effet, des dérogations à l’obligation d’enregistrement sont possibles (AJ pénal 2015. 438, l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires hors du « cabinet du juge d’instruction », oui, mais !). Elles sont prévues aux alinéas 5 et 6 de ce même article : pour les interrogatoires simultanés et l’impossibilité technique d’enregistrer (Crim. 13 mai 2015 ; 22 juin 2016 ; 4 oct. 2016, n° 16-81.867). Or, dans le présent arrêt, rien ne permet d’avancer l’une ou l’autre de ces exceptions. La cassation de l’arrêt de la chambre de l’instruction était par conséquent prévisible. Cependant la cassation n’était pas encourue sur ce point, la chambre de l’instruction ayant effectivement annulé la mise en examen criminelle pour défaut d’enregistrement. La difficulté résidait alors sur les contours de cette annulation.

Cet impératif d’enregistrement audiovisuel devient au fil des arrêts rendus, une formalité substantielle quasi automatique qui semble finalement devenir d’ordre public. La démonstration du grief n’est alors pas une condition préalable à la sanction. La chambre criminelle semble ainsi opter pour une annulation globale et intégrale de l’acte alors même qu’aucun texte de loi ne prévoit l’interdiction pour la chambre de l’instruction de prononcer une nullité partielle. « La loi accorde ainsi aux juges du fond le pouvoir d’apprécier, au cas par cas, les actes ou pièces de la procédure subséquente susceptibles d’être contaminés et, partant, d’être annulés. Ainsi, l’annulation de l’acte litigieux, si elle est opposable à toutes les parties, n’entraîne pas nécessairement celle de la totalité de la procédure » (D. 2010. 1688, obs. L. Belfanti ).

La chambre criminelle vient combler cette lacune législative en homogénéisant sa jurisprudence et en condamnant fermement tout manquement à cette obligation mais surtout plus largement en condamnant les sanctions partielles prononcées par les chambres de l’instruction. Il est désormais indéniable que le manquement à l’obligation de l’enregistrement en matière criminelle doit être sanctionné par une nullité intégrale s’étendant aux actes de mise en examen délictuelle. La chambre criminelle se veut plus sévère à l’égard des juges du fond dans un souci de protection des droits de la défense et de l’effectivité de son respect. Cependant, poussée à l’extrême, cela ne pourrait-il pas nuire de façon radicale à la protection de l’ordre public ?

 

 

Nullités de procédure : des rappels toujours utiles

PÉNAL | Instruction

Dans l’arrêt rapporté, la chambre criminelle procède à des rappels toujours salutaires en matière de nullités.

par Dorothée Goetzle 7 mai 2018

Crim. 10 avr. 2018, F-P+B, n° 17-85.301

Crim. 6 févr. 2018, F-P+B, n° 17-85.301

 

En l’espèce, une enquête préliminaire était diligentée à la suite d’un renseignement délivré par une antenne locale de l’office central de lutte contre le trafic illicite de stupéfiants. Un individu était identifié comme étant susceptible de se livrer à un trafic de cocaïne. L’information judiciaire ouverte consécutivement établissait que plusieurs autres individus étaient susceptibles de jouer un rôle dans l’écoulement de la cocaïne en tant que fournisseurs. Le réquisitoire introductif visait les chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et non justification de ressources, faits commis courant 2014 et jusqu’au 14 avril 2014. Un réquisitoire supplétif élargissait la saisine du juge d’instruction aux faits d’infractions à la législation sur les stupéfiants, associations de malfaiteurs et détention d’armes, commis courant 2012, 2013, 2014 et jusqu’au 13 octobre 2014. Dans ce cadre, le juge d’instruction délivrait deux ordonnances visant à permettre la sonorisation de véhicules utilisés par un des individus impliqués dans ces faits. A la suite d’un arrêt de la chambre de l’instruction devenu définitif ayant annulé une précédente ordonnance de disjonction, le juge d’instruction rendait une ordonnance de non-lieu partiel du chef d’association de malfaiteurs et de renvoi partiel de plusieurs mis en examen devant le tribunal correctionnel pour infractions à la législation sur les stupéfiants. Il ordonnait parallèlement la poursuite de l’information des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs. Après communication du dossier en vue de la saisine de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) et en raison de réquisitions du parquet visant un trafic de stupéfiants d’ampleur distinct de celui découvert par l’instruction originelle, deux juges d’instruction étaient désignés pour poursuivre l’information. Un nouveau réquisitoire supplétif visait cette fois les chefs d’importation en bande organisée de stupéfiants, direction ou organisation d’un groupement ayant notamment pour objet les infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs en lien avec les crimes et délits d’importation en bande organisée de stupéfiants, commis courant 2014, 2015 et 2016. Deux autres réquisitoires supplétifs étaient ensuite rédigés et faisaient directement suite à des sonorisations de véhicules loués par l’un des mis en examen. Plusieurs mis en examen avaient saisi la chambre de l’instruction de requêtes en vue de la nullité de pièces de la procédure. La chambre de l’instruction ayant rejeté toutes leurs demandes, ils formaient un pourvoi en cassation.

 

Dans le premier moyen, ils reprochent à la chambre de l’instruction d’avoir rejeté le moyen tiré de l’irrégularité des actes d’investigation accomplis, selon eux, hors saisine par le juge d’instruction. Leur argumentation repose sur la jurisprudence traditionnelle selon laquelle le juge d’instruction n’a à instruire que sur les faits expressément indiqués dans l’acte qui le saisit (Crim. 10 mai 1973, Bull. crim. n° 217). En application de cette jurisprudence, ils considèrent que la chambre de l’instruction a violé l’article 80 du code de procédure pénale. Or, pour la chambre de l’instruction, la saisine du juge d’instruction, fondée sur le réquisitoire introductif visant la seule enquête préliminaire, étendue par le premier réquisitoire supplétif, concernait non seulement les clients, les fournisseurs et les partenaires du mis en cause mais également ceux d’autres individus identifiés comme faisant partie de la filière d’approvisionnement. En d’autres termes, la chambre de l’instruction écarte la violation alléguée de l’article 80 du code de procédure pénale en considérant qu’il s’agissait du même trafic dont restaient à démanteler des niveaux supérieurs. Cette position judicieusement motivée s’explique par la nature des faits révélés par les investigations. En effet, si ceux-ci étaient bien nouveaux, ils étaient surtout de même nature en ce qu’ils portaient sur le même produit stupéfiant et mettaient en cause les mêmes personnes et leurs fournisseurs. La Cour de cassation se rallie à ce raisonnement, au motif que les investigations s’inscrivaient dans le contexte de la caractérisation, en amont et en aval, des faits de trafic de stupéfiants et d’associations de malfaiteurs tendant à la préparation d’infractions à la législation sur les stupéfiants dont le juge d’instruction était saisi. Le raisonnement est astucieux, les faits concernés étant analysés comme le prolongement indissociable et indivisible de ceux visés dans les réquisitoires supplétifs. Cette position pragmatique repose sur le principe connu selon lequel le juge d’instruction étant saisi « in rem », sa saisine englobe toutes les circonstances susceptibles d’aggraver les peines encourues par l’auteur, les circonstances dans lesquelles les faits ont été commis ne constituant pas en elles-mêmes des faits nouveaux (Crim. 18 janv. 1983, Bull. crim. n° 22). En empruntant le même raisonnement, la chambre criminelle a déjà pu considérer que le réquisitoire introductif établi contre X. pour infractions à la législation sur les stupéfiants et qui se réfère à des pièces jointes signalant l’existence d’un trafic international, saisit le juge d’instruction de l’ensemble de ces faits et met ainsi en mouvement l’action publique contre tous ceux qui, à quelque titre que ce soit, ont participé à ce trafic (Crim. 11 juill. 1972, Bull. crim. n° 235)

 

Ensuite, les requérants reprochent à la chambre de l’instruction d’avoir rejeté le moyen tiré de la nullité de l’ordonnance de soit-communiqué et des actes subséquents. Leur argument central revient à considérer que l’ordonnance de règlement dessaisit le juge d’instruction des faits qui en sont l’objet. En l’espèce, faute de disjonction formelle, les requérants estiment que le juge s’était dessaisi de l’entière procédure. Or, le juge d’instruction est tenu de statuer par ordonnance de règlement sur tous les faits dont il a été régulièrement saisi (Crim. 24 mars 1977, Bull. crim. n° 112). Il n’échappe pas à la Cour de cassation que l’ordonnance contestée vise les dispositions de l’article 182 du code de procédure pénale, prononce un non-lieu partiel du chef d’association de malfaiteurs et le renvoi partiel de cinq personnes mises en examen et dit y avoir lieu de poursuivre l’information afin d’identifier le degré de participation d’autres individus mis en cause. Cela signifie, pour la Haute juridiction, que le magistrat instructeur a bien vidé sa saisine à l’égard des seules cinq personnes mises en examen à ce moment sans qu’il ait été nécessaire qu’il prenne une ordonnance spécifique de disjonction.

 

Dans le moyen suivant, les requérants reprochent à la chambre de l’instruction d’avoir rejeté le moyen tiré de la nullité des opérations de sonorisation. Ils font grief aux enquêteurs d’avoir, pour installer un dispositif de sonorisation dans des véhicules, pénétré de nuit sans autorisation dans des parkings privés à l’intérieur desquels les véhicules étaient stationnés. La chambre criminelle rejette sans surprise ce moyen. Elle remarque d’abord que la loi ne subordonne pas la régularité de la mise en place d’un dispositif de captation des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel dans un véhicule à une autre autorisation que celle de s’introduire dans ce véhicule pour les besoins de l’opération. Ensuite, l’arrêt souligne qu’en l’espèce les conversations tenues dans les parkings ne devaient pas être captées, mais seulement les propos tenus à l’intérieur des véhicules qui, de manière contingente, se trouvaient occasionnellement stationnés en ce lieu. Ce raisonnement tire toutes les conséquences d’une lecture stricte de l’article 706-97 du code de procédure pénale qui ne distingue pas selon le lieu de stationnement du véhicule. Il résulte en effet de ce texte que le juge d’instruction qui envisage la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par ou un plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel ou de l’image d’une ou plusieurs personnes se trouvant dans ce véhicule, est tenu de délivrer une seule ordonnance écrite et motivée comportant tous les éléments permettant d’identifier le véhicule.

 

Ensuite, les requérants reprochent à la chambre d’instruction d’avoir déclaré l’un des mis en examen irrecevable à critiquer la régularité des sonorisations des véhicules. Pour justifier ce raisonnement, la chambre de l’instruction avait rappelé qu’il est de jurisprudence constante qu’une partie ne saurait se prévaloir de nullités qui auraient pu être commises au préjudice d’autres personnes mises en examen, dont elle ne démontre pas en quoi elles ont porté atteinte à ses intérêts, ni se prévaloir de la méconnaissance d’un droit appartenant en propre à un tiers. En l’espèce, la chambre de l’instruction en concluait que le requérant était irrecevable à critiquer la sonorisation des véhicules à propos desquels il ne justifiait d’aucun droit pas plus que sur les lieux où ces véhicules étaient stationnés lors de l’installation du dispositif de sonorisation. En outre, aucune conversation dont il aurait été l’un des locuteurs n’y a été captée et retranscrite. La chambre criminelle approuve ce raisonnement en précisant qu’il est toujours loisible à l’intéressé, en cas de renvoi devant une juridiction de jugement, de contester, dans le cadre du débat contradictoire, la force probante des indices et des éléments de preuve qui seraient éventuellement retenus à charge à partir de sonorisation concernant des tiers. Sur ce point, il faut préciser que les requérants avaient, par mémoire spécial, présenté une question prioritaire de constitutionnalité que la chambre criminelle a considéré comme dépourvu de caractère sérieux. Pour justifier la non-transmission de cette QPC question au Conseil constitutionnel, la chambre criminelle avait souligné que « la différence de situation entre la personne justifiant soit d’un droit ou d’un titre sur les lieux ou véhicules privés ou publics faisant objet d’une sonorisation, soit de la captation de ses paroles ou de son image, et celle qui n’établit aucune de ces circonstances, justifie la différence de traitement résultant de la rédaction de l’article 706-96 du code de procédure pénale et de l’interprétation constante que la Cour de cassation fait de cette disposition ». Cette position s’inspire de la jurisprudence récente et abondante déjà rendue sur le sujet. En effet, la chambre criminelle a déjà considéré, à propos d’un appartement sonorisé, que les personnes mises en examen qui ne sont titulaires d’aucun droit ni titre sur ce bien et dont les conversations n’ont pas été captées, ne sauraient prétendre avoir subi une atteinte à l’un des droits protégés par l’article 706-96 du code de procédure pénale (Crim. 26 juin 2013, n° 13-81.491, Dalloz actualité, 2 oct. 2013, obs. S. Fucini ; RSC 2013. 591, obs. J. Danet ; RTD eur. 2014. 470, obs. B. Thellier de Poncheville ). Au sujet de faits similaires à ceux de l’arrêt rapporté, la chambre criminelle a indiqué qu’aucune irrégularité ne saurait résulter de l’introduction, en enquête préliminaire, de policiers dans le parking souterrain d’un immeuble avec l’accord, en connaissance de cause, d’une personne titulaire d’un droit d’accès à cette partie commune et en sa présence, après vaine recherche de l’identité du syndic, afin d’y procéder à de simples constatations visuelles sur les véhicules en stationnement, lesquelles n’entrent pas dans les prévisions de l’article 706-96 du code de procédure pénale, ne sont pas assimilables à une perquisition et n’ont pas été de nature à porter atteinte à l’intimité de la vie privée (Crim. 23 oct. 2013, n° 13-82.762 P, Dalloz actualité, 15 nov. 2013, obs. M. Bombled ). C’est d’ailleurs toujours selon la même logique que l’exploitation des enregistrements d’un équipement de vidéosurveillance installé par le propriétaire dans les parties communes d’un immeuble collectif échappe aux dispositions des articles 706-96 et suivants du code de procédure pénale (Crim. 6 mars 2013, Gaz. Pal. 21 juill. 2013, p. 37, note Fourment).

 

L’agrégation de tous ces arguments conduit la chambre criminelle a rejeté le pourvoi, en précisant pédagogiquement que « les demandeurs qui ne se prévalent d’aucun droit sur le véhicule objet de la sonorisation ni sur le parking dans lequel il stationnait, sont irrecevables à invoquer une irrégularité affectant cette mesure, dès lors qu’ils n’établissent pas qu’à cette occasion il aurait été porté atteinte à une autre intérêt qui leur serait propre ».